Ils ont 13, 15 ou 17 ans. Ils traînent sur TikTok, YouTube ou Instagram. Et de plus en plus, ils remettent en cause l’égalité entre les genres.
Il vous est peut-être déjà arrivé de tomber sur ce terme dans un article ou une émission. Depuis la mi-mars, la mini-série Netflix Adolescence, qui raconte l’arrestation d’un adolescent de 13 ans accusé de meurtre, a ravivé le débat. Elle met en lumière l’influence croissante des contenus masculinistes sur internet et leur impact préoccupant sur les plus jeunes.
Présenté comme une solution à tous les problèmes que peut rencontrer un homme, le masculinisme façonne la manière dont les jeunes construisent leur rapport aux femmes, à eux-mêmes et au monde. Des rapports alertent: cette idéologie est en pleine expansion, surtout auprès des jeunes, et elle constitue une menace réelle pour l’égalité de genre et la lutte contre les violences sexistes.
Depuis quelques années, on assiste à une explosion de ces contenus en ligne. Des influenceurs proposent des vidéos de « coaching » sur la manière de séduire et de dominer une femme, ou encore des podcasts pseudo-scientifiques vantant la supériorité masculine. Ces messages se diffusent sans filtre, portés par des algorithmes et une quasi-absence de modération. Résultat: des centaines de milliers de garçons, souvent très jeunes, sont exposés à des discours profondément problématiques.
En effet, les contenus masculinistes prônent une vision violente des relations interpersonnelles, marquée par l’hostilité et la domination. Les défenseurs de l’idéologie masculiniste déplorent une crise de la masculinité et promeuvent un idéal fantasmé de l’homme, qui se devrait d’être dominant, agressif et inébranlable. Pour eux, l’homme est socialement supérieur aux femmes et aux personnes qui n’adhèrent pas à leur vision de la masculinité, ce qui a pour conséquence de légitimer des comportements violents, misogynes, homophobes et extrémistes.
Violence qui impacte aussi les hommes
La violence est statistiquement principalement masculine et l’adhésion à la pensée masculiniste accroît cette problématique. En Suisse, 92% des lésions corporelles graves, 97% des agressions sexuelles et 86% des homicides sont causés par des hommes, qui d’ailleurs représentent plus de 94% de la population carcérale. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cet excès de violence impacte aussi les hommes, qui se suicident 2,7 fois plus que les femmes. Au-delà des dégâts humains, cette violence liée au masculinisme a aussi un coût économique élevé. En Suisse, il a été estimé à 9,4 milliards de francs, soit 15% des dépenses annuelles de la Confédération.
Il est nécessaire d’agir rapidement pour éviter une dégradation de la cohésion sociale, des droits des femmes et du vivre-ensemble. Cependant, lutter contre le masculinisme nécessite une approche politique globale combinant éducation, prévention, régulation du numérique, accompagnement des jeunes hommes, promotion d’une masculinité dite positive et sanctions renforcées contre la violence sexiste. Parmi les solutions, l’éducation à l’égalité de genre, aux médias, ainsi qu’à la vie affective et relationnelle sont essentielles. Bien sûr, l’école joue un rôle clé, mais le cadre familial est également essentiel pour que les jeunes garçons puissent développer un esprit critique vis-à-vis de la pensée masculiniste.
Un phénomène qualifié de « terrifiant »
Ce phénomène dangereux touche d’ailleurs une multitude de pays et l’on recense de plus en plus d’attentats masculinistes, tant en Amérique du Nord qu’en Europe. Or, une prise de conscience semble apparaître peu à peu. Au Royaume-Uni, la police qualifie ce phénomène de terrifiant, au point que le sujet a été élevé au rang d’urgence nationale en 2024. En Suisse, les sujets de la masculinité et de la radicalisation ont été explicitement intégrés dans le deuxième Plan d’action national de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent 2023-2027.
Le Conseil fédéral reconnaît l’ampleur du problème. Pourtant, à ce jour, aucune donnée n’est collectée sur la diffusion de ces idéologies. Et sans données, impossible de mesurer l’ampleur du phénomène ni de construire des politiques publiques efficaces pour y répondre.
C’est pourquoi j’ai déposé une motion lors de la dernière session du Parlement, demandant au Conseil fédéral de lancer un travail de collecte de données sur la diffusion du masculinisme en Suisse. Si nous voulons protéger nos jeunes, défendre l’égalité et préserver la cohésion sociale, nous devons comprendre le phénomène pour mieux le combattre.
Christophe Clivaz